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Hommage à Maurice Collard (1931 - 2024)

Maurice Collard est décédé paisiblement le 12 mars 2024, dans sa quatre-vingt-treizième année, à Strasbourg, sa ville de naissance, à laquelle il n’aura cessé de revenir malgré plusieurs départs : départ précipité en 1940 lors de la Débâcle, qui lui fait traverser la France à vélo sous les bombardements allemands jusqu’à Lyon ; départ pour devenir étudiant « santar » à Lyon, avant de revenir comme interne à Strasbourg ; brève installation en Algérie en 1962, où il sera le dernier médecin français de l’hôpital d’Alger, avant de regagner le service de neurologie des Hospices Civils de  Strasbourg.

Cinquième enfant d’une fratrie de huit, il se plaisait à rappeler que son prénom n’était pas étranger à des origines familiales dans l’Ile Maurice, dont il connaissait bien l’histoire mouvementée, mais aussi les célébrités dont Charles-Edouard Brown-Séquard, natif de l’île et illustre neurologue. Ces éléments de vie ont été relatés avec émotion lors de son enterrement.

Nommé en 1968 Professeur des Hôpitaux dans la Clinique Neurologique qui venait d’être confié au Pr Francis Rohmer, il va être un précurseur de l’exploration du système vestibulaire, dans une connivence parfaite avec le Pr Charles Conraux, ORL à Strasbourg, connu lors de ses années de formation lyonnaises. Ces recherches vont se concrétiser par de nombreux articles scientifiques, la rédaction d’un précis de Vestibulométrie Clinique (1969), la participation à un livre sur les Nystagmus avec Aimé Larmande et Denise Goddé-Jolly (1973) et la coordination d’un ouvrage novateur sur le Cortex Vestibulaire (1996). C’est aussi une période où il se consacre beaucoup à l’enseignement de la sémiologie neurologique, qui se formalise par la direction puis la participation à une série de 15 tomes des Conférences de Neurologie (de 1971 à 1976). Ce plaisir d’enseigner la sémiologie s’est aussi longtemps révélé lors des séances hebdomadaires de discussion diagnostique devant un « malade inconnu », exercice effectué sans filet devant externes et internes, heureux de découvrir la finesse du raisonnement neurologique : syndromique, topographique, étiologique...

Chef du Service de neurologie, neuropsychologie et explorations fonctionnelles des épilepsies, titulaire de la chaire de clinique neurologique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg durant plus de quinze ans, il a tiré de sa formation de médecin militaire une aptitude certaine à organiser, certes avec une certaine rigueur mais surtout avec un réel don pour permettre aux autres de donner la pleine mesure de leur talent. C’est sous son égide que Lucien Rumbach publie, avec l’équipe de biophysique de Jacques Chambron, des travaux novateurs sur l’IRM de la SEP dès 1985, que Christian Marescaux puis Edouard Hirsch donnent à l’épileptologie strasbourgeoise son lustre, que moi-même ai pu créer une consultation de neuropsychologie, puis un CMRR. Il faisait partie de ces patrons qui se réjouissent des réussites de ses élèves ce qui, paradoxalement, n’est pas si commun. Il contribuait aussi à faire régner une harmonie au sein de son équipe, grâce à laquelle le travail était un plaisir. Sa ferme du village du Bonhomme, dans les Vosges, pouvait devenir le théâtre d’une retraite rédactionnelle, comme de week-ends festifs réunissant toute son équipe de neurologues.

Le grand œuvre de Maurice Collard restera sans doute l’idée opportune de créer des Journées de Neurologie de Langue Française, dont l’acronyme JNLF est désormais bien familier aux neurologues. Constatant que la Grand-Messe mensuelle de la SFN n’arrivait plus à réunir comme jadis tous les neurologues français à l’amphithéâtre Charcot, qu’il existait une profusion de sociétés de surspécialités neurologiques, tendant à fonctionner de façon autarcique et à tous nous isoler, il nous fit part de son idée, partagée avec son alter ego Jean Perret : amener toutes les sociétés neurologiques à organiser une de leurs réunions en respectant une unité de lieu et de temps. Il eut à faire face à beaucoup de résistances, certaines sociétés ne se joignant aux Journées de Neurologie de Langue Française qu’après quelques années d’atermoiement. C’est grâce à sa diplomatie mêlée de fermeté qu’il est arrivé à tous nous convaincre que la francophonie devait nous réunir, dans un cadre réglé comme du papier à musique.  Il a aussi tenu à ce que ces journées ne soient pas qu’une académie réservée aux éminences mais soient très ouvertes aux plus jeunes. D’où le soin apporté aux invitations pour les étudiants francophones étrangers, qui souvent font honneur à leurs pays lors des tournois d’internes.

Il n’est pas nécessaire de détailler plus ici le succès que représentent ces JNLF, dont le taux de participation est le meilleur témoin de leur nécessité et de leur adéquation aux attentes. Désormais plus personne ne penserait à fonctionner sans ce rendez-vous, dont le manque a été bien ressenti pendant la période de confinement du COVID.

On dit parfois qu’on meurt deux fois. Le jour de sa mort et le jour de la mort de la dernière personne qui vous connaissait et pensait à vous. En nous léguant les JNLF, Maurice Collard nous a laissé un « monument plus durable que l’airain » qui fait qu’il ne mourra jamais tout entier. Qu’il en soit remercié par nous tous.

 

                                                                                                              François SELLAL